Critique Nos yeux fermés 1

Une vue sur le fleuve, l’esquisse d’une canne, la première page déjà nous interpelle. Ichitarô nous éblouit de son sourire, on se sent apaisé. Même les bébés s’esclaffent sur son passage. C’est succinct cependant car se dévoile juste après une tempête nommée Chihaya qui râle et aboie à tout va et efface les sourires des visages poupons pour les faire pleurer. Une vraie opposition de style entre les deux personnages, le ton est donné, que débute cette romance compliquée mais sincère.

Dans une région peu prospère économiquement et socialement parlant, Chihaya, une jeune femme qui se néglige physiquement, déteste sa vie et maudit les gens qui l’entourent. Qui pourrait l’en blâmer ? Sans nous assommer de mots, Akira Saso l’auteur, nous explique en images sa situation. Une maison qui tombe en lambeaux, un père au chômage anciennement alcoolique, elle s’écartèle entre un boulot mal ou carrément pas payé et les tâches ménagères. Pas un sou en poche et chaussée de son unique paire de baskets ruinée jusqu’à la semelle, il serait ingrat d’exiger d’elle un mot gentil ou de lui reprocher son comportement. Chihaya est une écorchée mais courageuse, elle se débat et tente de survivre seule. Elle n’a besoin de personne pour avancer, ceci est sa promesse.  Elle n’en est pas moins très humaine et peut regretter un mauvais geste une journée entière si elle sait avoir eu tort.

Sa rencontre hasardeuse avec Ichitarô, un jeune homme aveugle va radicalement modifier sa vision des choses et le mur qu’elle a bâtie autour de son cœur va lentement mais sûrement s’effriter.

Il y a des bleus qui ne se voient pas, des cris qui ne s’entendent pas, Chihaya souffre intérieurement c’est indéniable mais elle va découvrir en compagnie de ce garçon à l’éternel sourire heureux que les apparences trompeuses vont dans les deux sens et que son entêtement de croire qu’elle est la plus malheureuse l’empêche de prendre conscience qu’elle n’est pas l’unique petite fille triste dans ce monde injuste. Qu’au milieu de l’obscurité, il ne tient d’un rien de tomber de l’autre côté pour apprécier l’instant présent.  Selon le point de vue où l’on se place, le monde est différent. Un coucher de soleil regardé après une journée pourrie, ne permet-il pas finalement d’oublier tous ses soucis ?

Ichitarô n’a lui-même pas été gâté par la vie, pourtant c’est un éternel optimiste qui a compris dès son plus jeune âge qu’à cause de son handicap, il ne pourrait pas survivre seul. Il a besoin des autres pour aller de l’avant. De ce fait, il parvient avec une facilité presque déconcertante à nouer le contact avec n’importe qui et surtout à inspirer de la sympathie à n’importe quel interlocuteur. Il crée des liens, et Chihaya témoin, est lentement happée par son aura. Les gens de son quartier peu à peu ne sont plus des anonymes. Curieuse, elle se rapproche et change. Elle veut être belle, elle veut plaire. Leur relation évolue à la vitesse du fleuve qui traverse la ville et au fil de l’eau les hématomes du cœur s’estompent.

C’est plaisant et un peu magique cette contradiction. C’est par la cécité d’Ichitarô que Chihaya redécouvre les sentiments humains, qu’elle prend réellement conscience des personnes qui naviguent sur son chemin.  Un aveugle apprend à un voyant à voir vraiment. Akira Saso nous offre le meilleur côté de l’être humain, il ravive l’espoir en chacun de nous. Evanouie notre indifférence, assassiné notre égoïsme, on réapprend la définition du mot « humain ». Si ce monde était régi par des personnes comme lui, assurément que tout irait mieux. La fin parachève le tableau. Au bout du compte, notre obsession de l’aventure en solitaire n’est qu’un leurre, c’est via nos rencontres réelles et les liens que l’on crée avec les gens, aussi minimes soient-ils, qu’on soulève des montagnes.

Vous l’aurez compris, j’ai adoré NOS YEUX FERMES. Le titre résume à lui seul toute l’histoire et le message souhaité par l’auteur. Je ne connaissais aucune de ses œuvres jusqu’ici mais cet OS m’a donné l’envie d’aller fouiller les librairies. J’aime son approche et sa vision des choses, je le comprends. Je suis plus sceptique par la couverture toutefois. Ce gris bleuté terne me fait plus penser aux vapeurs polluées s’échappant des cheminées des usines à gaz qu’au ciel. Mais, ce n’est qu’un détail et quelque part il fait écho au titre. C’est assez trouble, pas très défini un peu comme doit être le monde conçu par Ichitarô dans sa tête. Sans oublier qu’il reste une très jolie fleur rouge éclose et d’autres sur le point de faire pareil pour donner de la lumière. Ouais, Ichitarô, a compris l’essentiel.

KssioP

Continuellement l'esprit ouvert, je n'exclue aucun genre si ce n'est peut-être le genre guimauve ou Arlequin. J'aime cependant ce qui est différent, ce qui surprend. Rêveuse dans l'âme et aventurière chevronnée avec une manette en main, ma table de chevet se couvre de mangas, de romans, de cd's et d'une feuille de papier. Et bien souvent aussi d'un biscuit accompagné d'un thé car lire c'est certes bien mais avec confort et gourmandise c'est juste parfait.
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