Interview Junji ITO

Rencontre au festival international de la BD d'Angoulême

 

Le festival international de la BD d'Angoulême a été pour nous l'occasion de rencontrer le maître japonais du manga d'horreur : Junji ITO.


Manga Sanctuary : Bonjour monsieur Ito. Pour commencer je voudrais savoir comment présenter un maître de l'horreur tel que vous ?

Junji ITO : J'ai commencé tout simplement à travailler comme technicien dentaire et je suis venu au manga en cours de route, après avoir répondu à une annonce pour le prix Umezu. Je suis donc passé très rapidement dans le monde du manga après avoir commencé le métier de technicien dentaire, à faire des moules et des dentiers.

 

MS : Cette expérience professionnelle vous a-t-elle influencé dans votre travail ? Je pense notamment au personnage de Soïchi et ses dents cloutées.

 JI : Concernant mes œuvres de manière générale, mon boulot de technicien dentaire m'a aidé pour faire des dents assez réalistes, pour respecter les tailles et cetera. Pour Soïchi, il a un problème de fer dans le sang et c'est pour ça qu'il a tendance à sucer du fer. Du coup j'ai dessiné ses dents pointues.

 

MS : Il y a-t-il des auteurs phares qui vous influencent ?

JI : Dans le manga, outre Kazuo Umezu, j'ai été influencé par Hideshi Hino. Il y a également Shinichi Koga. Dans le monde de la science-fiction je dois citer le romancier Yasutaka Tsutsui. Sans compter que Lovecraft m'influence beaucoup.

 

MS : Dans La ville sans rue vous mettez en exergue le voyeurisme et annoncez l'avènement des réseaux sociaux. Avec Spirale vous développez la théorie marxiste. Peut-on considérer vos histoires comme sociétales en plus d'être horrifiques ?

JI : Non, si vous le ressentez comme ça, ce n'est pas voulu. Par exemple dans le cas de Spirale il y a Masaru Sato, qui est un ancien haut diplomate japonais spécialisé dans les relations avec la Russie, qui a lu mon œuvre et a écrit un texte à ce sujet qu'on retrouve en postface du manga. Et il a ressenti une influence marxiste dans mon thème alors que moi j'en n'avais aucunement l'intention. On peut le ressentir ainsi, mais il n'y avait pas de dessein particulier pour aller dans ce sens là.



 

MS : Quel est le but de chacune de vos créations ? Vous cherchez à nous effrayer ? A nous faire réfléchir par rapport à des situations ?

JI : Le but principal est de faire peur ou de faire vivre des expériences un peu malsaines. Mais pas plus que ça, je ne cherche pas particulièrement à faire réfléchir quand je dessine.

 

MS : Vous vous plaisez à nous effrayer. Et vous, qu'est-ce qui vous fait peur ?

JI : C'est étrange comme sensation, car je ne crois pas du tout aux fantômes. Pourtant quand je vais aux toilettes le soir ou la nuit, j'ai toujours peur de ça. C'est vraiment étrange.

 

MS : Il y a souvent une part de surnaturel dans vos mangas, mais la terreur provient en globalité de l'homme et de sa folie. La peur selon Junji Ito est-elle avant tout humaine ?

JI : Effectivement, pour moi c'est l'humain qui a le potentiel pour faire le plus peur. Que ce soit physiquement, que ce soit par ses actions, que ce soit pour son psychique, il y a plein de parties de l'humain qui peuvent faire peur. Et mon but est d'utiliser l'humain pour essayer d'effrayer le plus possible les lecteurs.

 

MS : Si on vous offrait le pouvoir de visiter l'esprit d'un autre artiste, pour vous faire comprendre son génie, son art, ce serait qui et qu'est-ce que vous ferez ?

JI : Ce serait John Lennon, pour rentrer dans sa tête et composer une de ses chansons avant que lui ne l'imagine.

 

MS : Presque systématiquement, vos personnages font un voyage avant de sombrer dans l'horreur. Qu'incarne pour vous le fait de voyager ? Est-ce si terrifiant que ça ? Et du coup n'avez-vous pas eu peur de venir à Angoulême ?

JI : Le voyage en lui-même ne me fait pas particulièrement peur. Par contre je ne voyage pas beaucoup, c'est la première fois que je viens en France, il y a eu les attentats récemment... Quand on va quelque part et qu'on ne sait pas où on va arriver, il y a toujours cette peur de ne pas savoir ce qui va passer, ce qu'on va pouvoir faire. Il y a donc cette peur effectivement, mais pas plus que ça.

 

MS : Tomié est votre personnage emblématique. Elle vous accompagne depuis vos débuts et vous êtes revenus souvent dessus. Aujourd'hui, avez-vous l'envie de dessiner de nouvelles aventures de Tomié ?

JI : Pour l'instant je n'ai absolument aucune inspiration en terme d'idée pour sortir une nouvelle histoire de Tomié. Ce n'est donc pas que je ferme la porte, c'est juste que je n'ai ni inspiration ni idée. Si un jour je trouve une idée qui pourrait être sympa à utiliser pour Tomié, pourquoi pas.

 



 

MS : Vous avez écrit Raspoutine le patriote en collaboration avec le célèbre éditeur/scénariste Takashi Nagasaki. Que vous a apporté cette expérience ?

JI : Expérience c'est dur à dire, on découvre forcément une nouvelle expérience en travaillant avec quelqu'un. Mais lui, il est spécialement très intelligent, il a une connaissance du manga extraordinaire, il a une faculté de réflexion très rapide. Rien que le fait d'avoir travaillé avec lui est déjà un honneur. J'ai un exemple en tête de ce qu'il m'a apporté : penser la taille et le positionnement des cases. C'est très important pour obtenir certains effets d'avoir à un endroit une case plus petite et à un autre une case plus grande. Pareil pour l'emplacement des cases, il m'a beaucoup appris là dessus.

 

MS : L'horreur est un genre dans lequel on retrouve beaucoup d'artistes, certains tombent dans la caricature du genre. Vous faites partie de ceux qui renouvellent le genre. Et justement, comment parvenez-vous à vous renouveler votre œuvre en permanence ?

JI : C'est ma méthode de travaille qui me permet d'avoir ses idées. Au jour le jour, quand je vis, je bois une tasse de café, je sors dehors, je vois des bâtiments, je rencontre des gens... il y a des choses qui m'inspirent. Chaque fois que j'ai une super idée, je la mets dans un carnet que je peux réutiliser plus tard. C'est donc un mixte d'idées que j'utilise pour faire une histoire. Je préfère les avoir déjà notées à l'avance parce qu'on n'a pas forcément toutes les bonnes idées au moment où on écrit le manga. Mais depuis peu de temps, il y a de moins en moins de choses qui m'inspirent dans mon entourage et j'ai de moins en moins d'idées. Donc j'ai beaucoup de mal à me renouveler.

 

MS : Merci beaucoup pour cet entretien monsieur Ito

JI : Merci à vous.

 

Merci aux éditions Delcourt/Tonkam qui ont rendu cette rencontre possible, à Fabien Nabhan qui a traduit les propos de Mr ITO et à meloku qui a été l'envoyé spécial de Manga Sanctuary sur place.

Skeet

Créateur de Manga Sanctuary et avant tout lecteur de manga depuis la fin des années 80.
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