Chronique : Pandemonium T.1 chez Ki-oon

Découvrez nos premières impressions sur ce seinen en 2 tomes tout en couleur

 

“Ceux qui hantent le ciel”… La simple évocation de ces êtres supérieurs qui déchaînent sur terre des catastrophes naturelles aussi imprévisibles que meurtrières suffit à faire frémir les plus braves. La rumeur veut qu’ils aient élu domicile au nord d’une ville côtière, sur des terres inexplorées et entourées de falaises vertigineuses que nul n’ose approcher…

C’est pourtant à leur rencontre que se dirige Zipher, transportant sur son dos le cercueil qui contient la dépouille de sa défunte petite amie… Pour lui, c’est certain, les mystérieux magiciens entendront ses suppliques et ramèneront sa dulcinée à la vie. Quand, épuisé, il s’écroule à l’approche de sa destination, il est recueilli par Domika, une des habitantes du village qui l’a pris en pitié. À son réveil, Zipher doit se rendre à l’évidence : en guise de miracle, c’est une détresse plus grande encore que la sienne qui l’attend dans le village des sorciers…

Titre : Pandemonium T.1
Editeur français : Ki-oon
Date de sortie : 13/11/2014
Dessinateur : Shô SHIBAMOTO
Scénariste : Shô SHIBAMOTO

Série terminée en 2 tomes

Comme toujours, les éditions Ki-oon savent mettre en valeur un titre. Pour un manga publié dans le sens de lecture occidental et entièrement en couleur, la collection « Latitudes » de l'éditeur était plus que requise, puisque ce type d’œuvre n'est évidemment pas sans rappeler les « comics » ou autres bandes dessinées qu'on peut trouver chez nous et qui sont aussi publiés en couleurs, dans le sens occidental de lecture. C'est donc vraisemblablement dans une volonté de se rapprocher de ces formats et de s'éloigner de celui classique des mangas que nous débutons notre lecture.

 

Un seinen très poétique et mature

Par son synopsis, Ki-oon a marqué l'une des grandes ambivalences du récit de Pandemonium : le refus d'accepter la mort. En effet, Zipher (héros du manga) vient au village de « Ceux qui hantent le ciel » (sorte de dieux qui peuvent détruire en une fraction de seconde des hectares de terrain, et dont le nom n'est pas sans nous faire penser aux Grands Anciens, ces dieux inventés par le romancier H.P Lovecraft) afin qu'ils ressuscitent sa bien-aimée qui, on l'apprend plus tard dans le tome, est morte dans un incendie. Persuadé, à tort apparemment, des pouvoirs magiques immenses des habitants du village, Zipher va les supplier d'accomplir ce prodige, mais le maire du village s'obstine à lui répondre qu'ils n'ont pas la puissance qu'on leur prête. Mais Zipher ne peut accepter l'évidence, à savoir que sa fiancée est perdue à jamais.

 

PANDEMONIUM -MAJUTSUSHI NO MURA- © 2014 Sho SHIBAMOTO / SHOGAKUKAN

 

Le scénario dans son ensemble n'est pas très novateur (sans toutefois sentir la naphtaline non plus) : un héros qui part à la conquête d'un objectif inhumain, et qui va ensuite connaître un chemin initiatique dans son propre « moi » (Zipher va chez « Ceux qui hantent les cieux », et c'est un voyage vers lui-même qu'il va entreprendre au final). Mais sans doute ne faut-il pas justement demander du novateur, car ce caractère classique est plus qu'adapté. L'acceptation de la mort d'un être aimé, la découverte de la différence et les similitudes qu'autrui partage avec chacun d'entre nous acceptent ce genre de scénario, et au contraire le réclament. Si le scénario allait vers trop de nouveauté, l'idée en aurait été sans doute perdue. Ici au contraire, on s'émerveille comme les personnages dans cette formation vers la fraternité et la reconnaissance de l'humanité de celui qui de prime abord semblait totalement différent. C'est très poétique, on voyage totalement. D'ailleurs, le fait qu'aucun personnage ne soit humain accentue ce rapprochement entre les personnages et le lecteur : ces personnages animaux/monstres sont pourvus d'un grand anthropomorphisme, faisant que bien qu'ils ne nous ressemblent pas, on finit par oublier cela et on ne voit plus que leur côté humain, ce qui en ce sens marque un premier lien avec ce que Ki-oon revendiquait : un manga à l'ambiance « burtonienne ».

 

Une ambiance burtonienne ?

Ki-oon nous vendait Pandemonium en disant qu'il s'agissait d'une aventure à l'ambiance proche de celle des films du cinéaste Tim Burton. Une fois la lecture finie, on est tout de même partagé face à cette opinion.

Rappelons déjà qu'on parle bien d'une « patte Tim Burton », puisqu'il a surtout fait des adaptations plutôt que des scénarios originaux. Évidemment, on ne s'attend pas à avoir l'impression d'avoir dans les mains une œuvre qui aurait été créée par le cinéaste. Mais on retrouve tout de même bien de nombreux aspects qui font penser à certains films de Tim Burton. Le premier est, bien sûr, les grands yeux ronds de beaucoup de personnages de Pandemonium. En effet, si on a connaissance des « storyboards » faits par Burton lui-même, on sait qu'il a l'habitude de dessiner ses personnages avec des grands yeux ronds. Ou tout simplement, si on a vu Vincent, L'étrange noël de Monsieur Jack, Les Noces Funèbres ou Frankenweenie ou lu ses contes comme Big-Eye (qui sortira bientôt au cinéma), on remarque ce trait physique chez nombre des personnages de ces films, notamment les protagonistes principaux (on vous invite à aller voir ces films si vous ne les connaissez pas). De ce point de vue, on est effectivement une certaine patte burtonienne.

 

PANDEMONIUM -MAJUTSUSHI NO MURA- © 2014 Sho SHIBAMOTO / SHOGAKUKAN

 

L'autre aspect burtonien se retrouve ensuite dans les infirmités des personnages vivants dans le village. On ne serait effectivement pas surpris de voir Edward, héros d'Edward aux mains d'argent, dans un coin de case. L'idée de différences physiques est très présente chez Burton, et il en a même fait un de ses points récurrents. On peut citer entre autres les deux méchants principaux de ses adaptations de Batman ou encore la Reine Rouge dans Alice au pays des merveilles (voire au chat du Cheshire puisque comme ce félin filou, on retrouve dans Pandemonium un personnage ressemblant à un chat et ayant un large sourire de dents acérées en permanence sur le visage).. Mais face à la gentillesse, à l'humanité dont font preuves ceux qui de prime abord ressemblent à des monstres, c'est bien davantage à Edward que l'on pense. On apprend à ne plus craindre ceux qui faisaient peur, ceux qui étaient différents et on voit à la place tout l'humain qu'ils portent en eux.

Enfin, on peut voir dans le choix des couleurs une patte burtonienne, puisque Tim Burton utilise souvent des nuances de clairs et de sombres pour marquer un contraste, ce que l'on retrouve aussi dans le manga. Néanmoins, cet aspect est aussi en parti un de ceux qui font que l'essence burtonienne n'est pas toujours très présente, ou du moins est mise à mal.

Les couleurs, bien qu'elles soient très agréables et créent une ambiance très fantastique et ancienne en évoquant un papier jauni par l'usure du temps et de la lumière, n'offrent pas un contraste aussi flagrant que celui qu'on peut retrouver dans les films de Tim Burton, comme tout simplement Les Noces Funèbres où le contraste entre la Terre des Vivants (sombre, triste, grisâtre) et le Royaume des Morts (clair, joyeux, coloré) se voit aisément. Ici, on n'a que quelques nuances de jaunes, et encore elles ne sont dues qu'au fait que le récit se passe parfois en plein jour ou en pleine nuit. Même quand on a quelques prolepses concernant le passé de Zipher, on a du mal à voir une nette différence entre le passé et l'instant présent dans la mise en forme.

L'autre point assez décevant est dans le regard de Zipher. Comme un personnage burtonien, ce dernier a des yeux très ronds. Seulement, là où tous les personnages de Burton qui ont ce type d’œil arrivent très facilement à nous faire partager leurs émotions (ne serait-ce que Jack Skellington dans L'étrange noël de Monsieur Jack qui a des orbites vides et qui pourtant sont très expressifs!), Zipher lui donne surtout l'impression d'être constamment totalement fou, illuminé (sauf quand il sourit). On n'arrive pas à le considérer comme sain d'esprit. On en arrive même à se demander s'il ne va pas devenir meurtrier ou sociopathe tant ses yeux ne respirent pas l'esprit sain. Même quand il pleure, on n'arrive pas vraiment à compatir. Mais cet aspect antipathique reflète un défaut des autres défauts que ce manga possède.

 

Un récit et des personnages invraisemblables

Pour qu'une histoire soit de nos jours considérées comme bonne, mais cela était déjà vrai depuis les premiers romans réalistes voire les tragédies classiques, il faut que l'histoire soit vraisemblable. Si ce n'est pas le cas, le public risque de ne pas vraiment apprécié l’œuvre ou bien la jugera médiocre. Dans le cas de Pandemonium, on ne peut pas dire que le manga soit médiocre, loin de là il a de nombreuses qualités. On ne peut non plus dire qu'on a détesté le manga car cela aussi serait faux. Cependant, objectivement, il faut reconnaître qu'il a des défauts scénaristiques mais aussi dans les caractères des personnages, et plus particulièrement Zipher.

Zipher m'a posé quelques soucis car il a un comportement très dérangeant et invraisemblable. Rien qu'au moment où il découvre le village, il passe d'une terreur sans nom à l'euphorie. S'il avait la moindre idée de ce qu'il cherchait, ce qui semble le cas en voyant sa réaction quand il comprend qu'il a atteint le village et par la suite quand on apprend le but de son voyage, pourquoi être aussi paniqué aussi longtemps ? Sous le choc du réveil, cela pourrait se comprendre. Mais il ne se calme que quand il voit tous les villageois. Or là, il aurait dû paniquer encore plus vu qu'il a face à lui des centaines de créatures atypiques. Mais bon, admettons que je cherche la petite bête sur ce cas-là. Cela n'empêche pas que l'attitude de Zipher pose problème par la suite. Qui aurait l'idée de s'enfuir de chez quelqu'un à toute vitesse avec un gros feu d'artifice sous le bras et d'aller l'allumer sur la place centrale pour remercier les villageois sans les prévenir de ses intentions ? Évidemment que cela va paraître suspect. Cette attitude n'est même pas idiote, elle est juste invraisemblable et improbable. Cela n'est pas crédible, surtout au vu de ce que dit Zipher après avoir allumé le feu d'artifice. Ensuite, son obsession à être persuadé que les villageois peuvent faire revenir les morts à la vie. Ce qui au départ est senti comme un blocage psychologique dû à un refus de faire le deuil de son aimée devient progressivement assez pesant et redondant. Heureusement, avec l'incident en fin de volume, on voit un changement dans son attitude causé par une prolepse et une prise de conscience qui rendent Zipher plus sympathique.

 

PANDEMONIUM -MAJUTSUSHI NO MURA- © 2014 Sho SHIBAMOTO / SHOGAKUKAN

 

Hormis ce gros point scénaristique qui m'a posé problème, ce qu'on pourrait trouver étrange est l'apparente complexité du scénario à travers les personnages hors du village. Ils ont l'air menaçants, mal intentionnés et très bien organisés, comme une sorte de Ligue des assassins ou un groupe d'agents secrets. Or vu comment avance rapidement le récit, on peut se demander ce que l'auteur pense faire de ces personnages et on peut craindre une sous-exploitation. On a peur que le récit soit trop vite conclu dans le tome suivant, que tout ne soit pas dit ou bien dit sans trop d'explications. Le souci majeur ici, c'est que l'auteur a peut-être trop développé son univers pour un manga en deux tomes. Mais là encore, avant d'enterrer trop vite le manga, il vaut mieux réserver notre jugement pour le tome suivant, qui pourrait peut-être bien nous surprendre et nous faire réviser notre critique sur Pandemonium. Car à côté de cela, on est face à un très de dessin très bien maîtrisé et surtout très beau, mis au service d'une histoire qui est tout de même touchante et très poétique voire philosophique. On arrive à se mettre finalement à la place de Zipher et à se demander : « Si j'étais à sa place, ne refuserais-je pas moi aussi d'accepter la mort de celle que j'aime ? Ne resterais-je pas dans le déni et continuerais-je à croire qu'il est possible de la ressusciter, quitte à en devenir fou ? ». Si c'était le but de l'auteur, alors tout ce que nous avons pris pour des défauts ne serait qu'une invitation à se poser des questions. Mais le traitement reste malgré tout un peu trop brouillon par moments, ce qui nuit tout de même à la qualité de l’œuvre.

Concernant l'édition elle-même, rien à redire : comme d'habitude on a des pages soignées, une très belle mise en page, un papier extrêmement agréable au toucher, bref Ki-oon bichonne encore son lectorat, autant dans l'édition qu'il propose que dans le portfolio contenant trois belles illustrations, qui montrent le potentiel de l'auteur et son grand talent. Malgré des défauts qui ne sont pas du fait de Ki-oon, Pandemonium reste tout de même un bon manga qui se lit avec plaisir. Il ne reste plus qu'à attendre quelques semaines pour le second et dernier tome de la série, pour voir si tout ce qui a été mis en plan dans ce premier tome trouvera une conclusion satisfaisante.

En bref

TimJo : Pandemonium n'est peut-être pas le manga de l'année puisqu'il s'appuie sur des éléments souvent traités, sans apporter un grand changement et allant même parfois dans une invraisemblance qui met le scénario en péril. Néanmoins, son ambiance très proche des films de Tim Burton (sans toutefois en être un plagiat) et très poétique, ainsi que sa couleur jaunie comme un recueil intemporel et très ancien, font de ce manga un livre qu'on prend beaucoup de plaisir à lire et qui nous conte un récit venu des âges anciens, comme si le récit était issu d'une très ancienne mythologie. Il n'y a plus qu'à espérer que le tome suivant sera tout aussi séduisant que celui-ci, et qu'il rattrapera les quelques erreurs commise ici.

 

 

LES + LES -

- Une édition très belle, avec notamment un papier très agréable

- Une ambiance faisant penser à celle de certains films de Tim Burton assez sympathique et très poétique

- Des couleurs jaunes qui évoquent un vieux livres transcendant les âges, comme une vieille légende

- Des dessins très beaux pour une très belle histoire

- Des personnages parfois peu sympathiques

- Un héros ayant un comportement trop bizarre et invraisemblable

- Un scénario complexe et développé mais qui risque d'être sous-exploité

 

Note :
7/10

 

Plus d'infos sur la série : VOIR LA FICHE DE PANDEMONIUM

 

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