Critique Film La colline aux coquelicots

6
La colline aux coquelicots

par arkio le ven. 30 nov. 2012

Sans tout de suite rentrer dans l'animation proprement dite, ce qui m'a personnellement "gêné" tout au long du film, c'est d'avoir lu et de connaître la version manga dont le film tire son histoire. Bien souvent dans pareil cas, et bien que les deux oeuvres soient sensiblement différentes, je n'avais de cesse de me référer à la BD à chaque passage ayant directement son équivalent dans le film. De fait, et sans autre valeur ajoutée ensuite c'est un point qui peut gâcher un visionnage, surtout si celui-ci n'a pas assez de prestance, de force pour réellement s'imposer sur son modèle.

Les transformations du scénario, initiées dans la douleur (dixit les bonus) par Miyazaki-père sont parfois un peu trop grossières ou simplistes, voire bancales car laissant des éléments inutiles et non expliqués (la fuite du père et de la mère par exemple). Mais surtout l'esprit d'espièglerie, les transgressions du manga originales (bien que pouvant sembler désuètes en elles-même) sont totalement effacées ici, pouvant se justifier en partie par le simple fait d'avoir placé son histoire une décennie plus tôt. Pour moi justement ça tombe facilement dans la mièvrerie, pas celle dont on pourrait affubler par ailleurs le shôjo d'origine (avec des schémas devenus classiques comme l'amour de jeunesse inaccessible et qui s'en va - absent dans le film - les lamentations à n'en plus finir sur un amour impossible etc...) mais une vision caricaturale des gens : "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil". Les motivations du héros deviennent on ne peut plus nobles (et ça ça m'a bien fait rire quand on connaît le pourquoi de ses actions dans le manga, c'est nettement plus...intéressé :lol: ), l'héroïne aux élans entiers et autoritaires ("tsundere" avant l'heure) devient une jeune fille soumise au caractère égal en toutes circonstances (subissant presque les événèments) et devant qui tout le monde semble conquis (jusqu'à l'absurde scène avec le président du conseil d'administration qui n'a d'yeux que pour la pauvre fille en retrait et décide de changer d'avis pour elle alors qu'il ne jette même pas un regard aux 2 garçons meneurs : pour un peu ça ferait limite pervers) et c'est la même chose pour la grand-mère ou la mère qui deviennent lisses à en pleurer.

Bref, tout cela fait que déjà on a l'impression de se retrouver avec un film pour enfants dont le trait a été forcé pour ne surtout pas choquer en quoi que ce soit. Néanmoins, la vraie bonne idée du film est d'avoir créer ce club estudiantin "le quartier latin" où les différentes strates de vie suivant les étages, et dans un joyeux capharnaüm, rappellent les plus belles heures du studio Ghibli. Par contre là aussi, comme cette agitation tranche avec le reste, c'est difficile de maintenir la tension nécessaire....

Maintenant, détaché du manga et pour en revenir aux choix artistiques, l'animation est de bonne qualité, mais reste à un niveau finalement moyen par rapport aux grands chefs d'oeuvre du studio et même par rapport à d'autres films actuels qui en sont les héritiers (voir par là la beauté plastique d'un "voyage vers Agartha" par exemple). De même toute la mise en scène, les plans et les mouvements de caméra sont d'un classicisme appliqué et peu emballant, sans vraiment aucun coup de génie (même dans le "quartier latin"). Du coup, c'est l'un des films du studio les plus décevants visuellement (et le sujet "classique" n'excuse pas tout, quand on se rappelle Omoide poro poro de Takahata). Cela étant, on apprend par les bonus que les délais étaient très justes et que c'était bien perfectible, mais comme dit Miyazaki-père on peut perdre en un film ce qu'on a mis 30 ans à construire !
Le manque d'ambition (ou d'expérience sans doute) manifeste de la réalisation pourrait s'excuser si l'histoire tenait toutes ses promesses mais c'est finalement là que les déceptions furent, pour moi, les plus grandes.

Déjà, comme je l'ai dit plus haut, lisser les caractères à la limite du plan-plan a pour désagréable corollaire de lisser les sentiments des personnages ou plutôt l'expression de leurs sentiments, qui, bien que pouvant passer pour de la pudeur ou des petites touches de battements de coeur, et bien que l'on ne demande pas non plus un tourbillon d'élans passionnels, finissent finalement par des visages figés dans des expressions peu diversifiées et résignés avec la très désagréable impression d'avoir laissé son empathie aux vestiaires tant il est difficile d'y croire ou d'avoir ne serait-ce qu'un réel moment d'emphase avec les personnages. Ce détachement est d'autant renforcé que le scénario (tout comme le manga) part dans un improbable (et encore plus que le manga le comble !!) vaudeville à rebondissements quasi stupides sur les liens familiaux entre les héros. Ce qui était un frein pour étirer le manga devient ici limite gênant et un vrai coup d'arrêt dans la montée graduelle des sentiments, qui ne dépassent au final pas celui de regards vaguement amoureux.

Mais je crois que ce qui m'a vraiment troublé c'est de voir des adolescents de 16 à 18 ans (presque adultes donc) qui ont le physique de gamins de primaire prébubères...C'est bien gentil de continuer à nous abreuver d'un graphisme rond et fédérateur "tous-publics" à la Ghibli, mais là ça devient une caricature de lui-même (tout comme la happy-end sans surprise, tout comme...tout en fait), difficile là-encore d'accepter ce parti-pris rendant l'identification aux héros plutôt difficile. De mon point de vue c'est encore une maladresse qui nous détache des événements présentés ici.

Et puis, je parlerais aussi des musiques passe-partout qui ne donne pas de dimension supplémentaire, ou si peu, aux scènes d'émotion (je dis ça parce que sitôt entendues sitôt oubliées, loin des envolées symphoniques de Joe Hisaichi, et pour le coup inoubliables mêmes à la fin du film, là c'est à peine si on se rappelle qu'il y avait un accompagnement sonore) tout comme le générique de fin, extrêmement mis en valeur dans les bonus du BR-D, mais qui pourtant ne m'a pas touché et reste désuet (les élans de cette calme mélopée ayant une résonnance fortuite avec le tsunami de 2011 auront sans doute plus portés pour le public japonais...peut être), bref sur ces points musicaux le studio a quasiment toujours fait mieux que pour ce film...

Un mot sur une traduction française de bonne qualité si ce n'est le désagréable écueil (que ce soit en VF ou en sous-titres) d'avoir systématiquement traduit le nom de l'héroïne par "UMI" alors que les autres protagonistes l'appellent quasiment toujours "MER" (la traduction française d'umi en japonais, prononcée MERU ici) et cela pour une raison non expliquée dans ce film (mais bien dans le manga dans mes souvenirs)

Au final, le film se laisse regarder sans trop de mal, mais je n'ai rien ressenti d'emballant à sa vision ni une quelconque émotion pouvant réellement atteindre le spectateur exigeant que j'étais alors à ce moment là. Après, c'est possible, et la critique initiant ce sujet l'atteste, que l'on puisse être totalement embarqué dans le film, si une certaine concordance et des attentes diverses sont comblées mais je ne pense vraiment pas qu'il puisse atteindre à l'universalité, s'étant égaré dans sa mission de pouvoir toucher tous les publics tout en voulant les toucher. Cette inadéquation manifeste porte en lui-même son aveu d'échec et il ne peut à mon sens porter le titre de "grand film" surtout si on le met en face de ses aînés du studio.
D'un autre côté même Miyazaki-père n'a pas fait que des chefs d'oeuvre (pour moi Kiki la petite sorcière passe par exemple à côté de son potentiel) et ce film un peu passe-partout mais sans génie peut devenir une base de travail pour Gorô Miyazaki, à condition bien entendu qu'on lui en laisse une possibilité future...

En bref

6
La colline aux coquelicots
arkio Suivre arkio Toutes ses critiques (7)
Partager :
Commentaires sur cette critique (0)
Laissez un commentaire